• Les sans-papiers ne pourront plus être incarcérés en France

    Une circulaire diffusée jeudi par le ministère de la Justice stipule qu'un étranger ne pourra plus être emprisonné en France au seul motif qu'il est en situation irrégulière. Une application du droit européen.

    Le fait pour un étranger de ne pas avoir de papiers en règle ne peut plus être en France un motif d'emprisonnement. C'est le sens d'une circulaire diffusée jeudi par la Chancellerie et consultée par l'AFP.

    La consigne est une application d'un arrêt de la cour de justice de l'Union européenne. Saisie par un tribunal italien, celle-ci a jugé illégale le 28 avril dernier la détention d'un migrant en situation irrégulière s'il refuse de quitter le pays. Cet arrêt découle de la «directive retour» européenne de 2008 sur les modalités de reconduite à la frontière, qui prévoit des mesures coercitives proportionnées et graduées. Selon cette directive, la rétention administrative est l'ultime recours, l'emprisonnement étant considéré comme incompatible avec l'objectif d'éloigner un étranger.

    Prison pour les comportements violents ou les fraudes avérées

    «Afin de se conformer à la décision du 28 avril», la circulaire française demande aux parquets de ne placer en garde à vue et de ne poursuivre un étranger qu'en cas de «comportements de violence envers les personnes dépositaires de l'autorité publique ou de fraudes avérées (faux documents administratifs), détachables de l'infraction de séjour irrégulier ou de soustraction à une mesure d'éloignement.» Pour toute poursuite judiciaire d'un étranger fondée sur le code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile, la circulaire recommande «de s'attacher à caractériser un défaut manifeste de coopération dans la phase d'identification se déroulant pendant la rétention administrative ou de résistance à l'exécution de la procédure forcée d'éloignement».

    Pour justifier sa décision, le texte de la Chancellerie explique que l'arrêt européen du 28 avril produisait «des divergences d'interprétation entre diverses cours d'appel» en France, où la loi prévoit que le séjour illégal et la soustraction à la reconduite sont passibles de prison. En application de cet arrêt, des décisions de remise en liberté avaient en effet été rendues à Nîmes, Rennes et Toulouse. D'autres, défavorables aux étrangers, avaient en revanche été prononcées à Paris et Marseille.


  • MEDIAPART

    05 Mai 2011 Par Carine Fouteau 

    Les huit régressions du projet de loi immigration

    Défendu d'abord par Éric Besson, puis par Brice Hortefeux, enfin par Claude Guéant, le projet de loi sur l'immigration, l'intégration et la nationalité a achevé son tour de piste parlementaire mercredi 4 mai avec la réunion d'une commission mixte paritaire (CMP) chargée de rédiger la mouture définitive du texte.

    Après sept mois de va-et-vient entre les deux assemblées, et malgré la contestation associative, députés et sénateurs ont adopté une série de mesures entérinant un nouveau recul des droits des étrangers en France. Le retrait du projet symbolique de déchéance de la nationalité (des auteurs de crimes contre des représentants de l'autorité publique) ne change rien sur le fond. Passage en vue des principales régressions, alors que le même jour la Commission européenne a proposé, dans le sillage des autorités française, que les contrôles aux frontières puissent être rétablis temporairement en cas de «défaillance» d'un État et de «pression migratoire extraordinaire» sur une frontière extérieure de l'UE. Et que la préfecture, à la demande de la ville de Paris, a fait procéder à l'évacuation d'un bâtiment parisien, avenue Simon Bolivar dans le XIXème arrondissement, dans lequel se regroupaient depuis plusieurs jours des Tunisiens arrivés en France via Lampedusa.

    1. Mise en danger des étrangers malades

    La version la pire pour les malades a été validée. Jusqu'à présent, les étrangers résidant en France, lorsqu'ils étaient atteints d'une maladie grave, comme le sida, l'hépatite, le cancer ou la tuberculose, ne pouvaient être expulsés et avaient droit à une carte de séjour s'ils n'avaient pas effectivement accès à une prise en charge médicale dans leur pays d'origine. Le projet de loi, qui doit encore faire l'objet d'un vote solennel (de pure forme) à l'Assemblée nationale et au Sénat, conditionne l'autorisation de séjour à l'absence de traitement dans le pays d'origine. Ce qui n'a rien à voir: les médicaments existent à peu près partout, mais ils peuvent être disponibles en quantité insuffisante, dans un seul lieu ou à des tarifs prohibitifs.

    Les nombreux appels associatifs n'ont eu aucun impact. Un collectif de médecins, représentants des structures aussi diverses que le Comede, Médecins sans frontières, Médecins du monde, Aides, le Syndicat des médecins généralistes, MG France ou encore le Planning familial, a été reçu à Matignon le 29 avril pour expliquer pourquoi cette réforme était «injustifiée compte tenu de la stabilité et de la faiblesse du nombre de cartes de séjour délivrées dans ce cadre (28.000) et de l'absence avérée de migration thérapeutique». Mais aussi «dangereuse» car elle mettra en péril la santé et la vie des personnes concernées et qu'elle constituera une «menace pour la santé publique», une «atteinte au secret médical» et une «entrave au contrôle effectif du juge». Et enfin contre-productive car elle provoquera une «augmentation des dépenses publiques».

    2. Expulsion: hausse de la durée maximale de l'enfermement

    Une fois la loi publiée au Journal officiel, la durée de la rétention administrative passera de 32 à 45 jours maximum. Pour le ministère de l'intérieur et de l'immigration, il s'agit de laisser du temps aux consulats de délivrer les laissez-passer indispensables aux reconduites à la frontière de leurs ressortissants. Sans ce document, les personnes en centres de rétention sont libérées. Dans un rapport de juillet 2009, le sénateur UMP Pierre Bernard-Reymond estimait lui-même que «l'allongement de la durée de rétention n'apparaît plus, en règle générale, comme un moyen d'améliorer l'efficacité du système alors que son coût n'est pas négligeable». La mesure apparaît principalement punitive: même si les personnes sont relâchées in fine, elles auront passé plus de temps enfermées, toujours dans la peur d'être expulsées.

    3. Rétention: limitation du rôle des juges des libertés

    En cas de recours contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF), le juge administratif se prononcera avant le juge des libertés et de la détention (JLD). Les sénateurs se sont ralliés à la version des députés qui prévoit de retarder de 48 heures à 5 jours l'intervention du JLD, garant de la légalité des procédures engagées à l'encontre de l'étranger, au risque que des reconduites à la frontière aient lieu sans que ce juge n'ait été amené à se prononcer. Objectif affiché du ministère: rendre l'action administrative et contentieuse «plus efficace». Il s'agit en fait de contourner ces juges judiciaires accusés de faire obstacle aux expulsions.

    4. Des expulsés bannis du territoire européen

    Le projet de loi crée une interdiction de retour sur le territoire français, qui se veut «dissuasive, notamment au regard de sa dimension européenne». De fait, les personnes concernées – y compris celles résidant en France depuis des années, y étant mariées ou ayant des attaches familiales – ne pourront plus revenir, une fois expulsées, ni en France, ni ailleurs en Europe pendant une durée de deux à cinq ans. La décision de l'autorité administrative devra, certes, être motivée. Mais cette mesure, découlant de la directive «retour» de 2008, n'est pas accompagnée de toutes les garanties prévues par le texte européen.

    5. Les Roms dans le collimateur

    Pour coller au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy de juillet 2010, députés et sénateurs se sont mis d'accord pour que les ressortissants européens puissent faire l'objet d'une mesure d'éloignement en cas d'«abus d'un court séjour» (de moins de trois mois) lorsqu'ils multiplient les allers-retours «dans le but de se maintenir sur le territoire» ou s'ils constituent «une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale». Les Roms sont implicitement visés. Ils le sont aussi lorsqu'il s'agit de faire des vols, de la «mendicité agressive» ou encore de l'occupation illégale d'un terrain public ou privé des «menaces à l'ordre public» autorisant les reconduites à la frontière. Et cela, alors même que le tribunal administratif de Lille a récemment annulé des arrêtés d'expulsion de Roms au motif que l'occupation illégale d'un terrain communal ou privé «ne suffit pas à caractériser l'existence d'une menace à l'ordre public».

    6. Droit d'asile: des zones d'attente mobiles

    Des zones d'attente spéciales, à l'image de celles existant dans les aéroports, pourront voir le jour. «Lorsqu'il est manifeste qu'un groupe d'au moins dix étrangers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres, la zone d'attente s'étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche», prévoit l'article 6 du projet de loi dont l'unique objectif est d'éviter que ne se reproduise ce qui avait été vécu comme un échec par le gouvernement: la libération d'une centaine de Kurdes de Syrie début 2010. Débarqués sur une plage corse en janvier, ces exilés avaient été placés dans divers centres de rétention en vue de leur reconduite à la frontière. Mais les juges avaient ordonné qu'ils soient relâchés, la plupart d'entre eux ayant demandé l'asile. Le ministre de l'immigration d'alors en avait été irrité.

    7. Les employeurs de «bonne foi» exonérés

    Les employeurs d'étrangers sans titre de séjour, que le gouvernement disait vouloir sanctionner, seront finalement exonérés de responsabilité s'ils sont de «bonne foi».

    8. Création du délit de «mariage gris»

    Suivant Éric Besson, les élus ont jugé utile de créer une variante au mariage de complaisance, en pénalisant les unions qui seraient conclues entre un étranger et une personne de nationalité française, qui se sentirait «abusée». Les députés avaient souhaité que la peine soit plus lourde que pour les «mariages blancs». Elle sera finalement identique (cinq ans d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende).

    Les élus socialistes ont annoncé qu’ils déposeront un recours devant le Conseil constitutionnel contre ce texte «répressif» et «liberticide». Même si elle s'avère vaine, la bataille qu'ils ont mené au Parlement tranche avec l'absence d'ambition du projet du PS en vue de l'élection présidentielle de 2012 sur les questions d'immigration. 

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