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« Immigrations plurielles, témoignages singuliers » de Nadia HATHROUBI-SAFSAF
Rédactrice en chef du Courrier de l’Atlas, Nadia Hathroubi-Safsaf publie son premier livre, « Immigrations plurielles, témoignages singuliers ». Un essai qui donne la parole à des Français venus d’ailleurs, et met en lumière l’humanité qui se cache derrière la figure, si souvent décriée, de « l’immigré ».
Auteur : Nadia Hathroubi-Safsaf
Date de parution : 2012-10-30
Format : 148X210 / 135 pages
ISBN : 978-2-35930-071-0source : Respect MagLe point de départ de ce projet ?
L’idée est née pendant l’élection présidentielle. Je n’en pouvais plus d’entendre taper sur les immigrés. D’autant qu’il y avait déjà eu le débat sur l’identité nationale : l’immigration a été montrée du doigt, stigmatisée. Sans compter tout ce qui s’est passé avec Buisson, Guéant, etc. La barque était déjà assez chargée. J’en discutais avec une journaliste de Presse & Cité, qui m’a mise en contact avec son éditeur. En juin, j’ai commencé à faire des entretiens - une trentaine au total. Mais le livre a beaucoup évolué : au départ, l’idée était de réunir deux générations, celle des parents et celle des enfants. Mais quand les parents étaient d’accords, les enfants ne l’étaient pas, et vice-versa. Du coup je ne l’ai fait que pour deux témoignages, ceux de Raphäl Yem et d’Amelle Chaabi.
Comment s’est fait le choix des personnes que tu as interviewées ?
Je voulais absolument qu’il y ait des gens de toutes origines. J’ai prospecté autour de moi, j’ai fait fonctionner le bouche-à-oreilles. Mais, par exemple, j’avais du mal à trouver des Polonais qui faisaient partie de la première génération d’immigrés. J’ai même contacté des maisons de retraite. A force d’en parler, j’ai fini par trouver. Mona, par exemple, je l’ai abordée dans la rue après l’avoir vue tracter plusieurs fois dans la rue au sujet de l’Iran. Le témoignage qui t’a le plus marqué ?
Celui d’Anna m’a vraiment ému. J’ai eu du mal à ne pas pleurer. Née en Pologne, déportée en Allemagne, elle est restée séparée de sa mère pendant vingt ans et, entre temps, son pays est devenu l’Ukraine. A travers ces témoignages, on découvre des pans de l’Histoire de façon très concrète. Quand Juan évoque la guerre d’Espagne entre les Républicains et les franquistes, il raconte la guerre civile, les combats dans la rue, les bombardements… J’ai énormément appris. Je suis même allée au delà de clichés que je pouvais avoir. Par exemple, j’avais l’impression que l’immigration était avant tout économique, sans m’être vraiment posée la question des migrations liées à des bouleversements géo-politiques. Malgré la singularité de chaque parcours, quel est le point commun entre ces personnes ?
Elles ont travaillé et ont toujours eu - contrairement aux idées reçues - la valeur travail très à cœur. A part Fatéma, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, ces gens avaient aussi le souci de ne pas se faire remarquer, de rentrer dans le moule. En fait, les immigrés espagnols, polonais ou maghrébins ont énormément de points communs. Ils ont envie d’offrir une vie meilleure à leurs enfants. La plupart sont aussi très fiers d’avoir réussi à acheter leur maison ou un bien immobilier. C’est une façon de construire quelque chose et de s’enraciner. D’ailleurs, quasiment tous ont demandé la nationalité française, même s’ils expliquent à chaque fois que cette démarche a été pour eux un vrai débat intérieur. Ces parcours font aussi écho à celui de mes parents…
L’idée forte de ton livre ?
Montrer le côté humain de l’immigration, tout en étant pédagogique. C’était vraiment une démarche militante et personnelle. On m’a parfois reproché le fait que ce livre n’était pas intellectuel, mais ce n’était pas ma démarche. Comme je le dis souvent, je ne suis pas sociologue, ethnologue ni psychologue. Je voulais au contraire écrire un livre humain. Si je pouvais, je l’offrirais à tout le monde, parce que le message peut être intéressant : prenez le temps d’écouter l’histoire de votre voisin, et dépassez la peur de l’Autre. > Immigrations plurielles, témoignages singuliers, Nadia Hathroubi-Safsaf, Ed. Les points sur les i, Janvier 2013, 130 p.
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« LE CHANGEMENT, C’EST VRAIMENT MAINTENANT ? »
LETTRE OUVERTE A ALEXIS BACHELAY,
Député socialiste des Hauts de Seine7 avril 2013
Monsieur le député,
Lors de votre débat du 5 avril sur le site Médiapart[1], alors que la Conseillère régionale EELV Emmanuelle Cosse déplorait que les expulsions se fassent de la même manière sous Hortefeux ou Guéant et Manuel Valls, vous l’avez interrompue pour assurer avec une certaine véhémence que, aujourd’hui, dans votre département des Hauts de Seine, la situation n’a « rien à voir » avec celle du temps où on y appliquait « aussi rigoureusement que possible la politique Guéant-Hortefeux ». Et d’évoquer, comme une généralité, la situation de personnes naguère victimes de l’arbitraire, aujourd’hui régularisées. Pour elles, à vous entendre, « le changement, c’était vraiment maintenant !». « Il ne faut pas dire c’est la même chose ! C’est pas pareil !» avez-vous clamé avec conviction.
Ce n’est pas notre opinion. Si vous en êtes d’accord, nous vous proposons d’en débattre publiquement. A l’évidence, nos appréciations sur le bilan d’un an de présidence Hollande sur la question des sans papiers, et pas seulement dans le 92, divergent. Personne ne vous soupçonne de mentir, les yeux dans les yeux, comme on dit aujourd’hui. Nous voulons croire que vous vous trompez de bonne foi. Vous disposez cependant des moyens d’établir solidement la vérité : exiger que la préfecture des Hauts-de Seine publie le nombre de demandes de titres de séjour déposées, le nombre de régularisations accordées et le nombre d’expulsions de mai 2011 à mai 2012 et les mêmes données de mai 2012 àmai 2013. Et que le ministère de l’Intérieur en fasse autant pour l’ensemble du pays.
Si les statistiques vous donnent raison, nous nous en féliciterons… à la condition bien sûr que le gouvernement trouve le courage politique de le revendiquer comme le résultat bénéfique d’une politique assumée. Vous êtes député, vous avez le pouvoir d’interroger le ministre sous forme d’une question orale ou écrite. Chiche ?
En attendant, si vous le permettez, nous vous communiquons une partie des éléments qui nous font, comme Emmanuelle Cosse et tant d’autres, hélas, porter une appréciation négative sur l’action du gouvernement à l’égard de l’immigration. Rappelons qu’il ne s’agit pas des seuls sans papiers mais bien d’une large partie de la population de ce pays, française depuis des générations, mais que son nom, son prénom ou son visage désigne comme « issue de l’immigration », sorte de stigmate porté de génération en génération. L’interdiction des contrôles de police au faciès, le droit de vote des étrangers, des mesures généreuses en faveur des sans papiers auraient été une reconnaissance éclatante de leur place dans la société. Les renoncements et les tergiversations de l’actuel gouvernement retentissent sur la politique insultante de ses prédécesseurs.
Même s’il reste énormément à faire, les conditions d’accueil des étrangers de certaines préfectures ont été partiellement améliorées, ce qui est bien le moins. L’écrasante majorité des étrangers reçus en préfecture sont en situation régulière. On a honte des conditions qui leur sont faites.
Le discours public des ministres à l’égard des immigrés ne comporte certes plus les connotations xénophobes, voire racistes des propos ou des « plaisanteries » de certains des ministres de Sarkozy. Dommage que la destruction systématique des bidonvilles Roms et les considérations honteuses de Manuel Valls (ils sont incapables de "s'intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu'ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution ») fassent écho au discours de Grenoble.
La circulaire Guéantdu 31 mai 2011 empêchant les diplômés étrangers d’accéder à un premier emploi a certes été abrogée et remplacée par celle du 31 mai 2012, plus libérale… mais dont, dans les faits, les étudiants peinent à obtenir l’application.
La circulaire Valls du 6 juillet, présentée comme interdisant le placement des enfants en rétention, est en fait rédigée de telle façon que seuls les enfants dont les parents sont volontaires pour être expulsés sont assurés d’échapper à l’enfermement[2]. Depuis sa parution, plus d’une dizaine de familles avec enfants ont été enfermées en rétention. Elles n’en sont sorties qu’avec l’intervention vigoureuse des associations dont le RESF et du Défenseur des droits[3].
Présentée comme « ferme, juste et uniforme », la circulaire dite de régularisation exceptionnelle du 28 novembre 2012[4] exclut de son champ d’application la grosse majorité des travailleurs sans papiers (et notamment les femmes) qui, condamnés à travailler au noir, ne peuvent pas présenter les feuilles de paye exigées. De la même façon, seuls 10 à 20 % des lycéens sans papiers satisfont aux critères « justes » de ce texte : par exemple, sur la douzaine d’élèves sans papiers du lycée Jean Monnet à Montrouge, deux, tout au plus, peuvent espérer un titre de séjour. Si leurs enseignants et leurs camarades ne manifestent pas leur solidarité, les autres sont condamnés à rester sans papiers ou à être expulsés comme l’a été Ahmed Sohail, le jeune Pakistanais évoqué par Emmanuelle Cosse[5].
Arrivé en France à l’âge de 15 ans, pris en charge par l’ASE jusqu’à 21 ans (6 ans !), devenu francophone, il est scolarisé, formé comme plombier. A 18 ans, on lui donne un titre de séjour Etudiant. A 21 ans, un patron veut l’embaucher mais la préfecture de Bobigny tarde à lui accorder un titre lui permettant de travailler, tant et si bien que le patron renonce à l’employer. Pas d’emploi déclaré, pas de titre de séjour, il se retrouve sans papiers, travaillant au noir comme plombier, électricien et carreleur. A 23 ans, il est arrêté et mis en rétention. Après 41 jours de rétention (de prison !), il est expulsé le 31 décembre 2012, ligoté, menotté, du scotch sur la bouche, au moment même où le président Hollande présente ses vœux de bonheur et de prospérité au pays. Noël en rétention, le jour de l’an dans l’avion ! Où est le changement ? A Karachi, considéré comme « Français » donc riche, il est emprisonné. Il est libéré un mois plus tard contre le versement de 500 € qu’une collecte en France a permis de réunir. Il vient de déposer une demande de visa long séjour au consulat de France à Islamabad. Allez-vous appuyer sa demande d’un courrier à Manuel Valls et en signant l’appel des élus[6] pour son retour ?
Vous vous êtes chaleureusement félicité du « vrai changement, maintenant » particulièrement dans les Hauts-de-Seine, votre département. Sans doute n’aviez-vous pas en tête la situation du couple franco-haïtien Victor-Ferry de Châtenay-Malabry (92). Après cinq années de démarches épuisantes il a obtenu que deux des quatre enfants de Marjorie Victor puissent rejoindre leur mère, début mai 2012. Nous étions alors convaincus que le nouveau gouvernement autoriserait les aînés à retrouver leur famille. Espoir déçu, un an après. Le ministre campe sur une application intégriste de textes et de pratiques que le Parti socialiste combattait sans concession quand il était dans l’opposition. Leur père est décédé mais Cynthia et Makey restent interdits de séjour auprès de leur mère. Où est le changement ?
Janat Mankarus, lycéenne de Jean Monnet (Montrouge), Egyptienne, copte[7]. Pratiquement toute sa famille a fui l’Egypte. Une sœur est devenue française, trois autres sont réfugiées en Allemagne, leur mère et la dernière sœur ont un visa pour les Etats-Unis. Janat a reçu une Obligation de quitter le territoire français, un ordre d’expulsion vers l’Egypte. On voit bien la « fermeté » du ministre. Où est l’équité ?
Un dernier exemple, mais nous pourrions les multiplier, dans les Hauts de Seine et ailleurs.
Vendredi 5 avril, quelques heures avant votre débat sur Médiapart, se tenait à Bagneux un rassemblement de solidarité avec trois familles menacées de démembrement ou d’expulsion en famille[8]. Sur le thème « Bagneux protège ses enfants » aujourd’hui comme hier, une centaine d’habitants se sont massés autour des parents et des enfants en présence de Marie-Hélène Amiable, maire de la ville et avec le soutien de Julie Sommaruga, députée socialiste de la circonscription. Quelques mots sur chacune de ces familles.
Mehdi Hassani élève de moyenne section, Ecole Chateaubriand : privé de son père ? Anis Hassani est marocain. Arrivé en France en 2005, il se marie avec une française en 2006. Mehdi naît en 2008, avec un lourd handicap. Après la séparation du couple, Anis est privé de son titre de séjour et du droit de travailler. Le 22 mars 2013, il est contrôlé, arrêté, mis en rétention. Cinq jours plus tard, le Juge des libertés et de la détention, visiblement choqué par la situation de Mehdi privé de son père, libère Anis. La préfecture des Hauts de Seine épuise la procédure et fait appel[9]. Où est le changement ?
Elisa et Sinaï Manuel, élèves de l’Ecole Joliot-Curie : privés de leur père ? Nelson Manuel est né, il y a 39 ans en Angola, pays alors en guerre civile. Il a 12 ans quand ses parents sont tués sous ses yeux. Des proches le font fuir en le mettant avec quatre autres jeunes dans un container à destination de l’Europe. Il débarque à Marseille. Après plusieurs années difficiles, il passe un BEP d’électrotechnicien. Il vit en France depuis 27 ans[10]. Nelson a trois enfants, un patron qui veut l’embaucher. Il peut être expulsé à tout moment et est frappé d’une interdiction du territoire de 5 ans. Où est le changement ?
Una, élève de moyenne section de l’Ecole Maurice Thorez et Vuk, son petit frère : expulsés en famille ? Jelena et Ratko Radovanovic sont Serbes. Ils vivent en France depuis bientôt six années. Leurs enfants y sont nés. Ils auraient dû être régularisés mais le sous-préfet d’Antony a prétexté leur voyage de noce en Serbie pour refuser leur régularisation… Où est le changement ?
Nous ne doutons pas que, député des communes populaires Colombes et Gennevilliers, vous souhaitiez mettre en œuvre le changement pour lequel vous avez été élu. Cela passe d’abord par un diagnostic sans concession de ce qu’a fait et de ce que n’a pas fait le gouvernement depuis un an. Ensuite par l’expression d’une volonté politique réelle, bien au-delà des demi-mesures, des atermoiements et des renoncements de cette première année. Les parlementaires ont leur mot à dire. Il faut qu’on l’entende. Clair et ferme.
Nous sommes prêts à en débattre avec vous, quand et où vous voulez, sur le plateau de Médiapart si nous y sommes invités.
Christine Einsenbeis, Claude Pillet, RESF Malakoff-Vanves, Lise Faucon, RESF Clamart-Le Plessis, Matthieu Fradelizi, Jacques Rattier, RESF Montrouge, Isabelle Guichard, CSSP Gennevilliers Conseillère municipale, Armelle Gardien, RESF Antony-Bourg-la-Reine, Boubakar Mazari, RESF Colombes, Françoise Montseny, RESF Chatillon, Richard Moyon, RESF Fontenay-aux-Roses, Judith Shan, RESF Boulogne, Romain Treppoz, RESF 92-Nord
Quelques liens sur des situations du 92 :
- Ibrahima SANÉ, Nanterre : http://resf.info/article46181.htm
La famille franco-haïtienne garde espoir, article du Parisien
La loi, rien que la loi ! Deux enfants ici, deux enfants là-bas, une famille haïtienne "normale"
- Janat MANKARU
- S, lycée Jean Monnet, Montrouge :Mobilisation pour Janat, menacée d’expulsionLe tribunal administratif de Cergy-Pontoise a donné gain de cause à Janat
- Anis HASSANI, Bagneux :
http://resf.info/article46541.html
Mehdi veut garder son papa, article du Parisien
- Anis HASSANI, Nelson MANUEL, Jelena et Ratko RADOVANOVIC :
http://resf.info/article46575.html
Bagneux protège ses enfants, article du Parisien
[1] Médiapart, « Où va la France » http://www.mediapart.fr/journal/france/050413/en-direct-de-mediapart-ou-va-la-france passage à 1h28 Voir en fin de lettre la transcription des échanges concernés.
[2] http://www.educationsansfrontieres.org/article43738.html
[3] http://www.educationsansfrontieres.org/article44912.html
[4] http://www.educationsansfrontieres.org/article45324.html
[5] Voir les éléments du dossier à http://www.educationsansfrontieres.org/rubrique837.html
[6] http://www.educationsansfrontieres.org/article46010.html
[7] http://blogs.mediapart.fr/blog/resf/040412/janat-ne-sera-pas-expulsee
[8] http://www.educationsansfrontieres.org/article46591.html
[9] http://www.educationsansfrontieres.org/article46580.html
[10] http://blogs.mediapart.fr/blog/resf/090512/une-vie-en-france-aujourdhui