• N’être

     

    Amel est une jeune mère de famille, elle élève avec son mari deux charmantes petites filles. Lui travaille comme ouvrier, elle reste à la maison pour s'occuper du dernier né de trois mois. Leur séjour en France est totalement légal : ils disposent d'une carte de séjours de dix ans. A la cité des Francs-Moisins, à Saint-Denis, où ils habitent, tout cela est relativement habituel, du moins on pourrait le croire, car cette famille vit en fait un cauchemar : leur nourrisson est un « touriste de passage pour 3 mois ».

     

    Amel est enceinte de sept mois quand elle doit partir en urgence en Algérie au chevet de sa mère gravement malade. Elle ne sait pas que ce voyage la conduira dans un monde kafkaïen. Elle accouche prématurément en Algérie à sept mois. Après cet épisode difficile à vivre, elle a hâte de rentrer auprès de sa famille. Hélas, la loi française ne le permet pas. Son enfant étant né à l'étranger, elle ne peut le ramener directement. Elle doit attendre un visa provisoire pour l'enfant, si elle veut revoir ses filles. Sinon, elle doit entamer une procédure de rapprochement familial. Amel s'effondre. Elle vit une dépression. Il faut absolument rentrer. Son mari et ses enfants lui manquent. Elle choisit le visa. Le retour à la maison ne résout pas le problème, loin s'en faut : une cascade de difficultés l'attend. La préfecture lui signifie qu'au terme du visa, elle doit retourner en Algérie et demander pour l'enfant le regroupement familial, ce qui peut prendre beaucoup de temps. En France, le bébé n'a aucun droit, même pas celui d'être rattaché à la Sécurité sociale de son papa, puisqu'il y est en séjour provisoire.

     

    C'est cette situation qu'Amel me raconte un soir de janvier, quand elle m'amène le bébé qui a de la fièvre. Je le soigne et, bien forcé par la situation, je rédige l'ordonnance au nom de sa grande sœur en espérant que le pharmacien ne tiquera pas trop sur la posologie inadaptée.

     

    Et je m'indigne ! Comment cela est-il possible ? Cet enfant a un papa qui travaille, qui cotise à la Sécurité sociale, qui a des droits. Je me renseigne auprès des personnes connaissant mieux que moi ces situations : eh bien, non, cet enfant n'a pas de droit, car il a eu le tort de naître où il ne fallait pas. Nous faisons le « forcing » à la CPAM du 93 pour procurer une couverture sociale à ce bébé car, si par malheur il devait être hospitalisé, le coût serait rédhibitoire. Il faut du temps et de la pugnacité, mais heureusement, nous y arrivons, car aujourd'hui, l'enfant est hospitalisé pour une infection des voies respiratoires. Mais cela ne change pas la situation du bébé qui va bientôt être clandestin, puisque tout le monde conseille à Amel, même les institutions sociales, de ne pas retourner en Algérie.

     

    De toute façon l'état psychologique d'Amel ne le permet pas, état psychologique encore plus aggravé par la décision de la Caisse d'Allocation Familiale, qui demande le remboursement de la prime de naissance (eh oui, il y a là suspicion de fraude !) et qui, pour être certaine d'être remboursée, supprime le versement des autres prestations. Nous supposons que, comme d'habitude, quand il y a un problème déclaratif ou autre, la CAF suspend tout les allocations, fait son enquête, et prend sa décision. On remarquera qu'habituellement, en vertu des principes constitutionnels, il faut d'abord faire l'instruction avant de prononcer le jugement, mais pour la CAF, les principes constitutionnels sont accessoires ! Outre que la suppression arbitraire des prestations auxquelles elle a droit enfonce un peu plus cette famille dans la précarité, la violence institutionnelle qu’elle traduit projette Amel et les siens dans l’incompréhension et la détresse.

     

    Comment en est-on arrivé là ? Dans quel monde vivons-nous, pour fabriquer des bébés clandestins ? Quelle faute Amel a-t-elle commise pour être autant punie ?

     

    Je voudrais connaître celle ou celui qui au consulat de France a refusé de délivrer les papiers à cette jeune mère de famille. Il ou elle a appliqué la loi, me dira-t-on. Quelle loi ? Celle qui est écrite sur le fronton de son bâtiment : liberté, égalité, fraternité ou celle d'un Etat français redevenu ouvertement xénophobe. Je voudrais comprendre ce qui se passe dans la tête de tous ces acteurs de la préfecture qui, au nom de la France, perdent leur humanité. Les lois et les règlements ne cessent de brimer les étrangers. La France a-t-elle si peur qu’elle doive craindre la venue sur son territoire d'un nourrisson de trois mois ? Voit-elle en lui un possible perturbateur de l'ordre public ?

     

    Comment peut on oublier à ce point les missions et les valeurs de la protection sociale, pour que la CAF se conduise de cette manière, est-ce le poison de la suspicion face à la fraude qui provoque ce comportement d'exclusion ?

     

    Que puis-je dire à cette famille ? Que ce monde est devenu fou, de cette folie qui conduit à ne plus savoir faire la part des choses. Que la loi fixe les conditions de la vie en société, mais qu'elle n'est jamais à l'abri de devenir stupide et ignoble dans son application. Que la citoyenneté que les hommes et les femmes politiques prétendent défendre n'existe pas pour un bébé né de parents maghrébins.

     

    La loi que nous allons appliquer pour cet enfant, c'est la loi de la cité, celle qui est faite de solidarité, de soutien, d'amour et de fraternité. Et nous allons nous mobiliser pour rendre à ce bébé ses droits, pour que son arrivée dans la vie ne soit pas à jamais marquée par la culpabilité d'être né où il ne fallait pas.

     

    Docteur Didier Ménard

    Médecin généraliste à la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis


  •  

     Pétitions à portée générale.

    Pétitions individuelles. 

    Dordogne

     

    pour Léonard, Kledji et leurs parents

     

     

     


  • Toujours sur le site RESF national, il y a quand même peu de fictions. Conseil : Rankin "Fleshmarket close", bon polar.

    Vous cliquez ici, ou là !

     



  • «Il y a un vrai recul sur l’accueil des étrangers malades dans la loi sur l’immigration»

    L’Assemblée nationale a adopté hier, en deuxième lecture, le projet de loi sur l’immigration, sans grande modification par rapport au texte d’origine à l’exception notable de l’amendement sur la déchéance de la nationalité, retiré sous la pression des centristes. Jean Dionis du Séjour, député Nouveau Centre, donne son avis sur cette loi.

    Que pensez-vous du projet de loi sur l’immigration ?

    C’est un texte de circonstance et de réaction à des événements de cet été : le saccage de la mairie de Saint-Aignan dans le Loir-et-Cher [par des gens du voyage, ndlr] et les émeutes urbaines de Grenoble. Je ne suis pas plus choqué que cela que l’Etat réaffirme sa fermeté. Ce qui m’a dérangé, dès cet été, c’est la liaison qu’a établie Nicolas Sarkozy dans son discours de Grenoble entre sécurité et immigration, lorsqu’il a réclamé la déchéance de la nationalité pour les Français naturalisés depuis moins de dix ans qui commettraient un crime ou un délit contre un représentant de l’ordre public.

    En menaçant de ne pas voter l’amendement sur la déchéance de la nationalité, les centristes ont contraint le gouvernement à reculer…

    C’est très bien politiquement, cela veut dire que quand les centristes se fédèrent, ils peuvent peser. Cela veut dire aussi que, sur le fond, on a réussi à faire entendre au gouvernement que cette disposition était une impasse. L’Etat a le droit de sanctionner fortement un crime ou un délit, il est même en devoir de le faire. En revanche, dire qu’il y a deux justices suivant les origines, c’est très grave.

    Y a-t-il des articles de cette loi qui vous posent problème ?

    J’avais deux problèmes, la déchéance de la nationalité et l’accueil des étrangers malades. Pour moi, la France a un devoir absolu d’hospitalité vis-à-vis des étrangers en danger, qu’ils soient légaux ou illégaux. C’est son honneur de les soigner. Jusque-là, la loi n’était pas laxiste, elle disait : «On les accepte s’ils n’ont pas accès aux soins dans leur pays.» Maintenant, on dit «s’il n’existe pas d’offre de soins dans leur pays». J’ai vécu en Afrique, je sais qu’au CHU d’Abidjan, l’offre de soins est à peu près équivalente à celle de Toulouse ou Bordeaux, sauf que l’accès en est réservé à une infime minorité de la population ivoirienne. Il y a donc là un vrai recul.

    Paru dans Libé du 16 03 2011


  • Pourquoi s'embêter avec la légalité ?


    Des policiers réquisitionnent un train pour une curieuse reconduite

      - Des policiers français ont-ils réquisitionné
    sans aucun droit une rame de train ce matin (mardi 15 mars), pour reconduire en Italie
    des clandestins sans même avertir leurs collègues transalpins ? C'est ce
    que suspectent des cheminots CGT qui ont empêché les agents de mener
    jusqu'au bout l'opération. Les forces de l'ordre voulaient descendre
    avant la frontière, et laisser le conducteur et la contrôleuse se
    débrouiller ensuite pour relâcher les 20 passagers sans titre (de séjour
    comme de transport) à Vintimille...

    Il était un peu plus de 9h30 lorsqu'une contrôleuse est tombée sur le
    quai, en gare de Cannes, sur 7 policiers de la police aux frontière par
    voie ferroviaire (brigade des chemins de fer). Avec eu 20 personnes en
    situation irrégulière, dont un mineur semble-t-il. Les policiers,
    raconte l'un de ses collègues, lui auraient indiqué qu'ils effectuaient
    une reconduite en Italie. La contrôleuse, faisant son métier, leur a
    demandé naïvement s'ils avaient des titres de transport pour tout ce
    monde. Les policiers ont répondu que non et qu'ils n'avaient pas
    l'intention d'en prendre à bord. Ils ont ajouté pour se justifier qu'ils
    avaient un ordre de réquisition - qu'ils n'ont pas montré. La suite est
    encore plus étonnante.
    Le train étant composé de deux rames, les policiers font descendre les
    passagers qui se trouvent en tête, pour leur demander de s'installer
    dans la deuxième rame. Puis eux-même montent avec leurs passagers à
    l'avant. Ensuite, en gare de Nice, ils avertissent le conducteur et la
    contrôleuse qu'ils descendront en gare de Menton, car ils ne peuvent
    aller en Italie. Le conducteur n'a qu'à conduire normalement le train à
    Vintimille, où les clandestins descendront. Un monde sans doute idéal
    pour Chantal Brunel, députée UMP qui avait choqué en proposant la
    semaine dernière de remettre les clandestins dans leurs bateaux. Dans la
    vraie vie,cette histoire pose au moins deux grosses questions, et pas
    seulement morales.

    D'abord, les policiers avaient-ils réellement un ordre de réquisition
    pour s'emparer ainsi du train ? Mickaël Albin, responsable à Nice de la
    CGT cheminot, qui a alerté rapidement sur ce qui venait de se passer,
    raconte que sa direction locale locale tombait des nues mardi matin.
    Elle n'était absolument pas au courant de cette histoire ce matin.
    Contacté, le service de presse national de la SNCF explique ce soir
    qu'il n'y avait aucun ordre de réquisition. Autrement dit, ce qu'on fait
    les policiers serait juste illégal. La préfecture des Alpes-maritimes
    répond que le train n'a pas été réquisitionné, et les agents de la SNCF
    pas sollicités. Les policiers seraient seulement montés dans le train
    comme tout le monde, avec leurs 20 passagers clandestins.

    Ensuite, les autorités italiennes étaient-elles au courant que leurs
    collègues français leur renvoyaient ainsi 39 personnes ? Le dispositif
    dit Schengen II prévoit que la responsabilité de l'accueil des étrangers
    imcombe au premier pays traversé en arrivant en Europe. Mais cela
    s'applique avec quelques règles. Et cette fois, il semble bien qu'il
    s'agisse d'une reconduite "sauvage". Un organisme existe en effet, le
    CCPD (Centre de coordination policière et douanière), qui réunit des
    fonctionnaires français et italiens. Ils coordonnent les contrôles, et
    assurent le relai d'un pays à l'autre lorsque des reconduites ont lieu.
    Ici, les 20 clandestins semblaient seulement livrés aux agents de la
    SNCF, chargés de les refouler en somme en Italie.

    Les fonctionnaires n'ont pas du tout aimé qu'on tente de leur faire
    endosser ce rôle. En gare de Menton, le conducteur a dit qu'il n'irait
    pas plus loin. Les policiers sont du coup descendus avec leurs passagers
    clandestins. Des agents de la SNCF ont surveillé un moment, pour
    s'assurer qu'ils ne montaient pas dans le train suivant, comme font les
    fraudeurs qui échappent aux contrôles. Puis toute la troupe a disparu.
    La préfecture indique que les Afghans sans titre de séjour ont été
    "conduits vers les locaux de la police aux frontières de Menton en vue
    du traitement des procédures administratives de réadmission vers
    l'Italie dans le cadre des accords de Chambéry". Les agents SNCF
    présents en tout début d'après-midi contestent cette version.

    "Notre collectivité, dit de son côté Gérard Piel, président du Front de
    gauche au conseil régional PACA, qui finance les TER, n'a jamais donné
    son accord pour que ses trains soient transformés en charter. Il faut
    avoir peu de mémoire d'ailleurs pour utiliser des trains ainsi." L'élu a
    écrit au préfet des Alpes-Maritime pour lui poser un certain nombre de
    question, savoir dans quel cadre agissaient les policiers, si leurs
    collègues italiens étaient prévenus, etc. "Ces gens sont-ils passés dans
    un centre de rétention, devant un tribunal administratif", questionne-t-il.

    Voilà deux semaines, Claude Guéant, nouveau ministre de l'Intérieur et
    de l'Immigration, avait effectué son premier déplacement à Menton et à
    Nice, où il s'était plaint à demi-mot du manque de zèle des Italiens
    pour surveiller leurs frontières avec la France. "Il faut, avait-il dit,
    obtenir des Italiens qu'ils jouent complètement la règle européenne." On
    aimerait être certain que, ce matin, les policiers ont bien respecter
    les règles européennes, et accessoirement la loi française.